jeudi

J'ai perdu mon seul et unique vrai taf. La seul chose qui, peut-être, me raccrochait au monde dit réel, à cette normalité quotidienne. Tant de gens la vive. "Métro-boulot-dodo". Cette partie, cet à côté de ma vie, qui m'obligeait à me lever certains matins, à ne pas trop être violente avec la came. Cette illusion, 4h dans une journée, d'être presque comme les autres.
Je l'ai perdu...
A midi, pendant le service, un client m'a mis la main au cul. C'est partit tout seul, il s'est prit un pin. Je ne supporte plus qu'on me touche. Je ne suis plus comme les autres...
Comment allons-nous vivre ? Je n'en peux plus de survivre.
Je rentre. Je n'ai plus faim. D'ailleurs, je n'ai jamais eu vraiment faim.

Opération : virage du chat. Qu'il aille donc faire une ballade dans les escaliers ou emmerder la vieille !
Un peu de solitude...

16h. Il miaule à la porte, le con. Je m'étais endormie.
A mes pieds, Napo dépose fièrement une souris parfaitement éventrée. Sans doute en guise d'excuse pour hier. Là, ça devient à la limite du supportable. Cette bestiole vire au serial killer.
Il faut que j'aille me préparer pour ce soir. Pour me vendre.
Je n'ai plus de courage. Plus de "il faut que".

Changement de direction, la vieille ville.
A la rencontre... A la recherche de... Je ne sais pas.
Peut-être à la recherche de ce manque qui me broie. Peut-être pour combler ce vide indéfinissable. Peut-être simplement pour ce jeu de hasard. Comment finira cette soirée ? Qui vais-je croiser ? Peut-être pour revoir ces ptits gars... Avoir le sentiment faussé d'être réellement moi-même. De pouvoir encore séduire ? Peut-être juste à la recherche de moi.
Je pars.

Noir. Noir percé de taches lumineuses. Petites lucioles, petites fées se promenant dans ma tête. Avoir des ailes. Ce soir, je ne taf pas. Ce soir…je me perche et je vole…
Je ne sens pas le froid. Petites pensées qui se baladent…j’ai de la dré. Cela suffit à me rassurer. Ce soir…je décolle…
Mes potos de galère sont là. Je me sens moins seule. Le Grand Manu, Tos, Linou et Jo : silhouettes verdâtres dans l’obscurité, fantomatiques. Les treillis et capuches croisent les bourgeois et touristes. Les restaux sont pleins. Dédalle d’allées, rues pavées, semi éclairées.
Je pourrai errer des heures. Linou sourit. La dré… Tos rit… Je n’ai plus peur.
Nous nous séparons en deux groupes. Je reste avec Tos. Un coup d’épaule : première allée. Elle est occupée. J’éclate de rire et salutations des rablateux. St george : repaire de cramés.
Deuxième allée : mes yeux se plissent, tout m’éblouit : l’éclairage a été réparé.
Troisième allée : la porte cède. Parfait. Etroite et sombre. Je glisse ma main dans une boite aux lettre, y récupère un catalogue Auchan. Au fond, je sens un prospectus cartonné. La fente est étroite, ma main se bloque un peu…c’est bon. Je pose le matos sur une poubelle, Tos me passe son cutter. Poudre. Deux belles traces tassées avec ma carte d’identité, sur fond de papier Auchan. Avec le carton : deux pailles. Je trace puis lance la sienne à Tos. De la poubelle, il tire un bout de sac plastique et remballe la came.
Nous titubons jusqu’à la sortit. Elle est bonne, meilleure qu’hier. J’ai oublié ma carte. Rires et insouciance. On y retourne et en chemin, saluons nos amis les kondés.

Il faut que je téléphone. Vite ! Nous rejoignons les autres. Sourires. Ils m’attendront.
A la cabine, j’ai oublié. Je n’ai plus le courage. Il faut que je les retrouve…solitude. Le froid revient, descend sur mes épaules. Mes mains se glacent ; mes orteils se recroquevillent ; je tremble. Ils m’ont laissée. Retour à la cabine. Un vieux type me suit mais ce soir, je ne taf pas. Peur.
Ils sont chez Tao pour un plan dragon. Angoisse. Ils ne m’ont pas attendu. La redescente se fait sentir. Tout tourne. Mon nez me brûle.
Alors j’attends. Je crie ; j’hurle sans savoir pourquoi…

Tos me rassure. Je suis contre lui, c’est fini. Ils m’ont gardé un dragon ; ils ont pensé à moi. Je plane.

Dans mon lit, je rêve éveillée. Comment suis-je rentrée ? Mes yeux se ferment et Sasha…
Sasha... qui se glisse entre mes bras...