Un signe de tête. Il est 13h30. La voisine dans l’escalier. Je vais acheter des spaghettis, je n’en ai plus. Longs. Fins. Dangereux. Je croise son regard. Une pensée. Un souvenir. Je retourne dans mon enfance.
Elle a un manteau rouge. Un cartable comme celui du docteur. La première fois que je l’ai vue, sur le quai de la gare, elle attendait comme moi le train qui l’emmènera à destination. Il est 6h35. Son nez témoigne de la température. Rougi. Froid. Une grande dame, les cheveux mi-longs, blonds. C’est étrange. Je me surprends à penser que je voudrais être elle. Enfin… comme elle. Avec elle. Souriante. Belle. Son long manteau rouge qui souligne ses yeux clairs. Son teint pâle.
Elle présente un abonnement au contrôleur. Elle doit souvent faire le trajet.
Lundi soir. Elle est assise sur un siège à quelques places du mien. Elle est professeur, de français me semble-t-il. La copie qu’elle corrige doit être une dictée. Je lis sur ses lèvres « 32 fautes ». Elle tape sur une calculatrice. Note au crayon à papier sur le haut de la feuille quatre sur vingt. J’imagine l’élève recevant la copie. Ça doit faire moins mal quand c’est elle qui te rend le devoir. Je me plonge dans un livre et n’en ressort qu’arrivée à destination.
Je l’avais oublié jusqu’à aujourd’hui. J’ai 13 ans. Magnifique ! Je grimpe dans le premier wagon, tout le monde fume. Je fuis. Le suivant est rempli d’air « pur », mais… complet. Au troisième, je trouve une place. Et là. Je revois le manteau rouge. Les cheveux blonds. Elle sort son téléphone portable. Appelle une amie. J’ouvre un bouquin. Je me suis assis pas très loin d’elle pour pouvoir la regarder. Mon livre. Une histoire que je ne pourrais pas raconter. Je lis, mais n’en suit pas le fil. Je me rappelle simplement qu’on est en 2040 et que le narrateur à quelque chose comme 117 ans.
J’ai toujours envie de lui ressembler. De l’aimer. Cette femme à l’air si heureux. Elle porte des bijoux en or. Métal dont la couleur convient aux peaux claires. Elle me regarde. J’abandonne la lecture. Commence à écrire. Serait-elle donc un peu curieuse ?
Le contrôleur passe. M’interromps. Elle téléphone encore. Tombe sur un répondeur. Elle parle d’une soirée, jeudi. Elle paraît si gaie. Un merveilleux sourire…
J’apprends son nom. Marie.
Les gares défilent, les annonces rythment le parcours, comme autant d’indication sur le temps qui reste avant la destination. Elle s’occupe. Mange une pomme. Boit de l’eau.
Et si c’était la dernière fois que je la voyais ? Je me prépare à l’éventualité. Je veux fixer sa silhouette. Son visage, dans ma mémoire. Elle sourit encore regardant le terne paysage. Les villages. Les voies. Il a neigé.
Une gare avant celle de mon arrivée. Elle se tourne de mon côté. Son visage est beau. Elle sourit encore. C’est étrange, c’est la première fois que je ressens ce désir, vouloir à tout prix ressembler à quelqu’un.
Je fais une pause. Je regarde à travers la vitre. Je réfléchis. Marie s’est calée contre le siège. Soupire puis rêve.
Annonce du contrôleur. On est arrivé. Elle se lève. Enroule à son cou une écharpe multicolore. Pointe supplémentaire de gaieté à son pull rouge et à son pantalon noir. Elle récupère son manteau jeté en boule sur le siège d’en face. Reste debout. Attend « l’arrêt définitif du train ». Comme le répète inlassablement le haut-parleur. Je me suis levé. Habillé. J’ai attendu debout. Nous étions proches à nous toucher. Elle, impatiente de descendre, restait droite. Immobile. Le train s’est arrêté. On est sortis. Je la cherche du regard.
Ce regard. La voisine. Et si c’était elle ? Aurais-je tué si j’avais été quelqu’un d’autre ? Comme elle. Je me fou dans mon fauteuil. Une cigarette fumante à la main. Le regard de cette femme en face de moi.