Un cri. un cri muet d'angoisse. Il pointe puis s'enfouit au plus profond de mon être. Je voudrais hurler, tout défoncer... Je voudrais pleurer. Mais rien ne sort. Un sentiment, une impression de vide. Je ne suis qu'une enveloppe assourdie. Du moins sur les choses importantes.
Personne ne le sait. Je ne suis qu'une petite miss rigolote. Toujours avec le sourire. Même en galère. Toujours le sourire. Arriverai-je un jour à en parler? Je veux dire, à parler vraiment. A raconter... Personne ne le sait, sauf Sacha. L'impression de n'avoir réellement craqué qu'une seule et unique fois dans ma vie. Le soir de notre rencontre. Une confiance s'est établit. Je ne sais pourquoi lui. Mais ce fut lui et personne d'autre. Nous n'en n'avons jamais reparlé. Je tiens à Sacha plus que tout.
C'est curieux ce milieu. Mi-zone, mi-prostitution. Pour la plupart nous connaissons nos surnoms, quelques prénoms, rien de plus. Personne ne parle. Une sorte de respect ou une sorte de crainte. La peur au ventre. La peur de prendre à coeur les histoires de tout ce petit monde. La peur des condés, la peur de ne pas toucher sa dose, ou que ce soit un sale prod, la peur du prochain client... Personne n'est prostituée par hasard, personne ne l'est par choix. Un cheminement, une suite d'événements, de rencontres. Je hais cette putain de vie. Je hais cette vie de putain. Monde de violence. Pourquoi sommes nous là?
Et voilà qu'avec Sacha nous emménageons. Au lointain, j’aperçois l’immeuble. Impressions flous. Espoir de s'en sortir. Pour plus tard. Etre heureuse... Rue du Soleil ! J'attendais un bon présage depuis longtemps. Sacha, Napoléon le chat et Joséphine le poisson rouge. Tous les quatre. Ensemble. Tous les deux... La vieille Arcadiane rose peine un peu pour grimper la côte. Dans un grincement de freins, nous nous arrêtons. Il est très tôt, pas tout à fait 9 h. Rue du Soleil, oui, mais déserte et brumeuse. Le froid me glace, s’insinue jusque dans mes os... Je hais ce temps, je hais l’esprit de Noël et tout ce qui va avec. J'aide mon colloc à trimballer nos cartons. Je ne me souviens pas avoir déjà possédé autant de trucs…
Dans l’escalier étroit, je croise un homme. Elégamment vêtu, la quarantaine environ. Il paraît pensif, répond d’un discret signe de tête à mon bonjour. Front plissé, grands yeux bleus perdus dans le vague. Anxiété ? Angoisse... A quel étage habite-il ?
Je continue discrètement ma montée jusqu'au quatrième étage. Mes jambes s'engourdissent. Je me sens lourde.
Nous rencontrons devant la voiture une mère et son môme. Le petit doit être âgé d’une dizaine d’année… Elle est belle, cheveux châtains et yeux bleus foncés. Mais son sourire forcé trahit l’épuisement ; corps appuyé contre la rambarde. Elle nous propose de venir boire l’apéro chez elle à 21 h30.
La petite vieille du rez de chaussée pointe son nez. Une vraie commère… Qu'elle retourne donc à ses ménates...
Sacha s'occupe du repas. Je crois qu'il va commander des plats chinois rien que pour moi...
Il est tard. Le whisky de madame M était excellent. Apparemment elle s’occupe toute seule de Maxime, son gamin. Elle n'a pas mentionné de père. Maxime est un chouette môme, un vrai petit monstre. Il a essayé de boire les fins de verre, nous a envoyé sa voiture télécommandée dans les pattes... Tout ça me fait rire. C'est important, le rire. Demain, on le garde tout l'après-midi. C’est qu’elle travaille dans une station service, que Max est en vacances, elle va avoir du mal à tout gérer.
Une journée de plus est je suis toujours là. Une journée de plus et je suis toujours vivante...
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